

9 mars 2025
Catherine Cruchon-Griggs et Bottle Back : remettre le lavage des bouteilles au cœur du vin suisse.
Face à l’urgence climatique, Catherine Cruchon-Griggs et son collectif veulent transformer la filière viticole suisse.
Leur objectif ? Remettre le réemploi des bouteilles au cœur du système, une pratique largement oubliée mais pleine de bon sens. Entre défis logistiques, mobilisation des acteurs et changement des habitudes de consommation, voici l’histoire d’une révolution en marche!

Château de Vufflens ©Anaïs Salson
Une prise de conscience face à l’urgence climatique
Catherine Cruchon-Griggs, copropriétaire du Domaine Henri Cruchon à Echichens et présidente de l’association Bottle Back, n’a pas attendu que la durabilité devienne une tendance pour s’engager. Depuis l’an 2000, son domaine a initié la pratique de la biodynamie, mais cela ne lui suffit plus.
« À force d'entendre un peu partout dans la presse qu'on doit arriver au bilan carbone zéro, à baisser nos émissions de carbone de 50 %, je me suis dit : bon, c'est aussi à nous de regarder chez nous comment ça se passe. »
Son constat est sans appel : le recyclage du verre ne suffit plus. Bien que la Suisse soit championne du monde dans ce domaine, le recyclage ne permet d’économiser que la matière, pas l’énergie. Or, la production d’une bouteille neuve est extrêmement énergivore, nécessitant des températures de fusion de 1500°C pendant 24h.
« Il faudrait passer d'abord au réemploi avant de recycler les bouteilles. »
C’est ainsi qu’est né Bottle Back, un projet ambitieux qui vise à remettre le lavage des bouteilles au centre du processus de production.

©Anaïs Salson
Le retour du réemploi : une évidence logistique et économique
Laver et réutiliser les bouteilles, une idée simple ? Pas tant que ça. Si cette pratique était la norme autrefois, elle a aujourd'hui presque disparu avec l’essor des bouteilles à usage unique. Pourtant, le lavage permet d’économiser jusqu’à 85 % de l’énergie par rapport à la fabrication d’une bouteille neuve.
Mais pour que cela fonctionne, il faut un système efficace, simple et viable économiquement :
« Laver les bouteilles, ça se faisait avant. Mais pour que ce soit très efficace, il faut qu’on le fasse ensemble. »
Le défi ? Standardiser les formats pour que toutes les bouteilles puissent être lavées et réutilisées à grande échelle.
« Pour rendre ça possible pour un restaurateur, il faut qu'on standardise les bouteilles. »
Cela éviterait des trajets inutiles et permettrait une logistique fluide, essentielle pour convaincre toute la filière de s’y engager.

Catherine Cruchon-Griggs ©Anaïs Salson
Construire un projet viable : inclure tous les acteurs
Un tel changement ne peut réussir que si tous les acteurs du vin y trouvent leur intérêt. Catherine l’a bien compris :
« Si ton nouveau système va en fait faire mourir économiquement une partie de la branche, forcément, elle va être contre toi. »
Elle s’est donc entourée de tous les maillons de la chaîne :
- Les centres de lavage, qui s’associent au projet pour assurer la qualité et la traçabilité des bouteilles.
- Les producteurs et productrices d’étiquettes, qui ont accepté de tester gratuitement de nouveaux matériaux compatibles avec le lavage.
- Les vignerons et vigneronnes, qui adhèrent progressivement au concept en voyant l’intérêt économique et écologique.
Cette collaboration est essentielle pour garantir une transition en douceur.
« On est tous capables de faire un pas, mais si tu nous demandes de faire trop de pas, on perd beaucoup de monde d'un coup. »
Une ambition nationale et un modèle pour le monde

Catherine Cruchon-Griggs ©Anaïs Salson
La Suisse, déjà exemplaire en matière de recyclage, pourrait devenir pionnière dans le réemploi du verre.
« On est les champions du monde du recyclage. Pourquoi ne pas devenir les champions du monde du réemploi ? »
L’objectif est clair : déployer le projet à l’échelle nationale, avec un système de collecte des bouteilles similaire à celui du verre à usage unique ou du PET.
Mais pour cela, il faudra convaincre les consommateurs et changer les mentalités.
« J’aimerais que notre branche ait pu le faire de sa propre volonté, et que ce soit pas imposé par la politique ou par une votation. »
Le rêve de Catherine ? Que dans quelques années, les Suisses soient aussi fiers de réemployer leurs bouteilles que de les recycler.
« Mon rêve ? Que tout le vignoble suisse passe au réemploi et que les consommateurs en soient fiers ! »
Leçons d’une transition réussie
Au fil des années, Catherine Cruchon-Griggs a appris une chose essentielle : un projet de durabilité ne peut fonctionner que s’il s’intègre sans contrainte excessive dans l’existant.
« Le succès d’un projet, c’est autant que possible, arriver à transformer le secteur sans tuer les acteurs actuels du secteur. »
C’est précisément cette approche pragmatique qui pourrait faire de Bottle Back une référence mondiale en matière de réemploi du verre.
Si l’histoire vous inspire, la prochaine fois que vous choisirez une bouteille de vin, posez-vous la question : sera-t-elle réutilisée ou jetée ?

Catherine Cruchon-Griggs ©Anaïs Salson
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Article 6 : De la passion à l'engagement : le parcours de Laurent Bersier, réalisateur vidéo...
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